Steven Guilbeault ou le vernis utile
CHRONIQUE – Le premier mandat Trudeau, côté écolo, relevait de la catastrophe pure. Alors que d’aucuns s’attendaient, légitimement, à un changement de paradigme par rapport aux années noires d’Harper, tout le contraire: augmentation des subventions à l’industrie pétrolière, acceptation de forages controversés, et l’achat d’un pipeline à grands coups de milliards issus du Trésor public.
Les mesures pro-vertes? Outre l’abolition des pailles en plastique et les déguisements de Justin en épinette, fokall.
L’annonce de l’arrivée de Steven Guilbeault, circa élections 2019, suscita enthousiasme et perplexité simultanés.
«Je veux changer les choses de l’intérieur!» de clamer l’ancien camarade, sous les applaudissements nourris des moins cyniques.
Poudre aux yeux, dixit les autres, dont le soussigné.
D’abord, parce que quiconque s’intéresse aux politiques occidentales sait, sans forcer, l’influence très relative, sinon inexistante, d’un.e ministre de l’Environnement autour de la table décisionnelle. Pensons Nicolas Hulot, pour seul exemple.
Ensuite, parce qu’un gouvernement avec un bilan autant honteux ne se cherche manifestement pas un messie, mais bien un vernis. Celui, utile, afin de convaincre les Bobos d’une conscience environnementale dissoute, hormis les sparages de relations publiques, dans l’océan noir des lobbys polluants.
Enfin, parce que nombre d’alarmes indiquaient déjà que Guilbeault se plairait, justement, dans ce rôle de vernis utile.
Le militant chouchou des médias l’est aussi du… politique. De Jean Charest, notamment. Ce dernier de déclarer: «Steven Guilbeault a choisi une autre façon de militer […] il travaille avec les forces politiques en place pour faire avancer les choses plutôt que de chercher la confrontation. C’est très précieux pour la société.» Surtout précieux pour un premier ministre en mal de vernis, disons.
Et quelle autre manière de militer, au fait? Celle-ci: dès 2007, donc sous le règne Charest, Guilbeault-le-parlable appuie, sans gêne ni vergogne, le projet de port méthanier Rabaska. Le motif? Qu’il contribuerait (le projet, pas Steven), à réduire… les émissions de GES. Ben coudonc.
Peu après son départ d’Équiterre, il devient expert-conseil externe pour Deloitte, ainsi qu’auprès d’une firme de relations publiques. Aucun mal à «gagner sa vie», bien entendu. Sauf qu’à voir ces institutions d’ordinaire pro-capital se vanter autant de leur acquisition, il est loisible d’être dubitatif: et si l’image du militant-précieux servait, ici encore, à des fins de vernis corporatif?
Pour André Bélisle, dans une vidéo de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), la réponse est limpide: le milieu se méfie, depuis belle lurette, de Steven-le-militant-différent.
Et pour cause.
Parce que si son premier mandat comme ministre (du Patrimoine!) devait se limiter à nous faire avaler (par procuration) les couleuvres de Trans Mountain, son assermentation à l’Environnement devait sceller le couvercle (en plastique).
De un, parce que se poursuivent les subventions à l’industrie mortifère, encore davantage qu’à l’ère Harper.
De deux, parce que les cibles de celle-ci pour 2030 ont été, substantiellement, réduites.
De trois, parce que l’objectif de réduction globale du Canada, pour cette même année 2030, est désormais de 40-45%, soit une cible maintenant moins ambitieuse que celle des Américains.
De quatre, parce qu’il nous a habitués à une novlangue à faire rougir Orwell, notamment en se targuant que «le lobby des énergies fossiles ne sort pas gagnant de la COP26», alors que tout expert sérieux conclura, sans forcer, à l’inverse. Mieux: que le projet de Bay du Nord, avec ses 200 000 barils quotidiens, en sera un de «pétrole moins sale, plus propre». Or, même si ceci est vrai – le fardeau de la preuve lui appartenant, 85% des émissions de gaz à effet de serre liées au pétrole ne proviennent non pas de son extraction, mais bien de sa combustion. En d’autres termes: niaise-nous donc.
D’aucuns, à la suite de ses déclarations, auraient été tentés de réclamer la démission du ministre-précieux. Mais peine perdue. Parce que Guilbeault a, après nombre d’années d’entraînement, enfin atteint le Saint-Graal de la hiérarchie du vernis. Tout ce qui monte redescend? Pas dans la pyramide des écolos-affranchis, non.
Morale de l’histoire? Aucune. Sauf peut-être ceci: proposer un shooter de pétrole (propre) au prochain qui, sans rire, nous annonce se lancer en politique afin de… changer les choses de l’intérieur.