La violence par armes à feu, «un cancer dont la chimiothérapie fonctionne plus ou moins»
La quiétude des Montréalais a récemment été bouleversée par des épisodes violents criminels. Le dernier exemple en date, une fusillade, a tué 3 personnes dans Rivière-des-Prairies. Les forces de l’ordre disent qu’elles en ont «assez» et les habitants de ces secteurs «vivent désormais avec la peur au ventre», selon la mairesse de l’arrondissement.
«Lundi soir, à 19h, quelques dizaines de coups de feu ont été tirés sur un immeuble situé au 9301 boulevard Perras, à Rivière-des-Prairies, atteignant cinq hommes présents à l’intérieur et à l’avant de l’appartement 2. Trois des hommes sont décédés et deux blessés sont dans un état stable. Tous étaient connus des services de police et étaient en possession d’armes à feu», a précisé plus tôt cette semaine David Shane, porte-parole du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM)
L’immeuble avait déjà été la cible de coups de feu le 5 juin dernier.
La porte-parole du SPVM qualifie cet événement de «sans précédent».
«Ce qui s’est passé est inacceptable. Il y aurait pu avoir des victimes collatérales».
David Shane, porte-parole du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM)
La mairesse de Rivière-des-Prairies, Caroline Bourgeois, a pour sa part parlé d’un moment «choquant, qui amène de la colère».
Les conséquences de telles fusillades touchent non seulement les acteurs directs, mais les effets sont aussi collatéraux, puisque «les gens du secteur vivent désormais avec la peur au ventre. Des familles décident de quitter l’île, ils ne veulent pas vivre dans de telles zones», selon Caroline Bourgeois.
Le phénomène des violences par armes à feu est sociétal, fait valoir le SPVM. «Ce n’est pas juste un problème qui implique la police et les criminels.» La population est d’ailleurs invitée à collaborer via la plateforme téléphonique Info-crime. «Chaque information est importante lorsqu’il s’agit de lutte contre les armes à feu», précise le porte-parole du service de police.
Néanmoins, pour la présidente de la firme Mourani-criminologie et membre de l’ordre des criminologues du Québec, Maria Mourani, il ne faut pas se faire d’illusion: éradiquer la violence par armes à feu est une utopie. C’est un cancer de notre société, dit-elle, et «il est extrêmement difficile de déraciner le phénomène lorsqu’il est implanté.»
«Le crime organisé est un cancer de notre société dont la chimiothérapie fonctionne plus ou moins. Par contre, il existe des moyens de la contrôler, notamment via la prévention. Mais ça fait partie de notre société, tant qu’il y aura des gens qui veulent faire du « cash » rapidement par le crime, ça existera.»
Maria Mourani, présidente de Mourani-criminologie
Même des pays ultras sécuritaires comme le Japon ou la Corée du Sud ont des épisodes violents de crime organisé, ajoute-t-elle.
Plus de tentatives, mais moins de meurtres
La métropole a vu l’apparition de gangs autour des années 80, explique Maria Mourani. «Il existe des zones géographiques pour ces gangs de rue, même s’il y en a un peu partout. Certains quartiers sont habités par cette criminalité, mais cela reste difficile de cibler des quartiers en particulier. Historiquement, l’Est de Montréal fait partie de ces zones-là.»
En 2020, le Nord et l’Est de l’île de Montréal sont les deux zones qui concentrent le plus de tentatives de meurtre, avec respectivement 43 et 41 tentatives.
Quant aux homicides, ils ont atteint le chiffre de sept au nord, sept à l’est, six au sud et cinq à l’ouest, selon le bilan 2020 du SPVM.
Les tentatives de meurtre impliquant des armes à feu ont augmenté de 72,7%, de 2019 à 2020, passant de 33 à 57. Toutefois, les homicides liés aux armes à feu ont diminué de moitié, passant de 10 en 2019 à 5 en 2020.
C’est le poste de quartier 27, situé à Ahuntsic, qui a enregistré le plus d’homicides en 2020, soit 4 décès et 13 tentatives de meurtre.
Toutefois, la ville de Montréal ne soutient pas la comparaison avec d’autres métropoles canadiennes comme Toronto, par exemple.
«Il est difficile de comparer Montréal avec d’autres villes, mais on parle d’environ une trentaine de gangs ici, alors qu’à Toronto on est plus dans la centaine. Toronto a un gros problème de fusillades, elles sont presque quotidiennes.»
Maria Mourani, présidente de Mourani-criminologie.
La présidente de Mourani-criminologie ajoute toutefois que «ce n’est pas parce qu’on est mieux loti par rapport à d’autres villes ou provinces que ça va bien».
Le SPVM a pu saisir 744 armes à feu en 2020, contre 601 en 2019, ce qui représente une hausse de 23,8%. Depuis janvier 2021, 350 armes ont été saisies sur le territoire de Montréal d’après la mairesse de RDP.
La criminalité à Montréal en baisse, mais l’usage d’armes à feu en hausse
Il peut par ailleurs être étonnant d’observer que la criminalité a globalement chuté à Montréal l’année dernière, alors que le nombre de crimes contre la personne commis en présence d’une arme à feu a pour sa part augmenté, et de façon importante.
Notamment en raison de la pandémie et des mesures de confinement qui ont marqué 2020, la tendance générale de la criminalité a connu une baisse de 11,2 % par rapport à 2019.
Les crimes contre la personne ont chuté de 3%, passant de 23 694 à 22 984. Les voies de fait (-2,3%), les agressions sexuelles (-8,2%) et les vols qualifiés (-16,9%) sont les types d’infraction dont la baisse est la plus marquée.
De l’aide financière et logistique bienvenue
La brigade spéciale du SPVM de lutte face au trafic d’armes à feu (ELTA) est en place depuis février 2021 et a reçu l’aide de Québec pour que ses effectifs soient quasiment doublés grâce à un financement de 5M $. Pour l’instant, 23 personnes sont dédiées à la brigade, et les effectifs devraient atteindre plus de 40 personnes.
«Assez, c’est assez! Si j’ai une recommandation à vous faire, c’est d’immédiatement cesser tous les actes de violence à l’égard des citoyens sur le territoire, car, nous, on n’abandonnera jamais.»
David Shane, porte-parole du SPVM s’adressant aux criminels lors du point de presse du mardi 3 août
Le SPVM voit d’ailleurs l’aide de la SQ arriver dans la foulée de la fusillade de Rivière-des-Prairies. Avec cet épisode violent «de trop», une équipe mixte formée de l’ELTA du SPVM et d’une équipe spécialisée de la Sûreté du Québec (SQ) sera mise en place. Cette collaboration devrait «accentuer la pression sur les groupes criminalisés qui sont à l’origine de ces violences par armes à feu», soutient David Shane.
«Le partage des renseignements sera au cœur de cette nouvelle équipe intégrée. Les ressources en enquêtes et services spécialisés doivent servir à tous les différents organismes de police.»
La directrice générale de la Sûreté du Québec, Johanne Beausoleil, lors de l’annonce de l’entente le 4 août
La Fraternité des policiers et policières de Montréal a d’ailleurs réclamé l’ajout de plus d’effectifs dans les rues de Montréal pour endiguer ces fusillades.