Le PapJazz, un festival international en Haïti malgré la pandémie
C’est l’un des rares endroits sur Terre où l’on peut encore assister à des concerts: la 15e édition du festival international de jazz de Port-au-Prince défie la pandémie de coronavirus et fait le bonheur d’artistes de renom.
«Cela fait trois mois que je n’ai pas joué au piano»: ces premiers mots prononcés avec un large sourire par Jacky Terrasson lors du concert d’ouverture du Papjazz samedi dernier, révèlent la singularité du moment.
Alors qu’à travers le monde, quantité d’événements culturels sont annulés, la faible prévalence de l’épidémie de Covid-19 en Haïti permet au pays de ne pas interdire les rassemblements. Et les musiciens sont aux anges.
«On était très contents de remonter sur scène de jouer et de partager», raconte Jacky Terrasson au lendemain de son premier concert.
«Ça nous fait tellement du bien de communiquer, de chercher à improviser sur Harry Potter ou Michael Jackson. Il y a peut-être un peu plus de prises de risques que d’habitude parce qu’on se dit qu’on a la chance d’être là donc on se donne à fond», sourit le pianiste né en Allemagne et vivant à New York.
«Ne pas jouer en public, c’est nous tuer»
Habituées à parcourir le monde pour jouer, les stars de la douzaine de pays à l’affiche du PapJazz vivent mal cette privation du contact avec leurs fans.
«Ne pas jouer en public, c’est nous tuer: on n’existe plus», témoigne Etienne Mbappé.
Pendant que certains apprenaient à faire du pain, le bassiste a profité du confinement à Paris pour monter un studio d’enregistrement à son domicile mais les performances qu’il a offertes sur internet l’ont laissé sur sa faim.
«Même si la technologie nous permet de faire des lives depuis notre salon, rien ne vaut le vrai. C’est comme si on vous disait qu’au lieu de manger, de croquer votre nourriture, on allait vous l’injecter: franchement c’est pas pareil!», assure l’artiste camerounais, seul bassiste à jouer avec des gants.
Que les jam sessions qui suivent les concerts s’achèvent aux premières heures du matin ne pouvait pas faire davantage plaisir qu’aux organisateurs du festival.
«Rien jusqu’à présent n’arrête le PapJazz», s’enchante Milena Sandler, la directrice de la fondation Haïti Jazz qui organise le festival.
«On se sent vraiment privilégiés de pouvoir recevoir des musiciens qui ont été à l’arrêt dans leur pays depuis un an», souligne-t-elle.
Jusqu’à la dernière minute, la progression de l’épidémie de coronavirus à travers le monde aurait pu tout faire annuler.
À quelques heures de l’ouverture du festival, le ministère haïtien de la Santé avait entre autres recommandé une interdiction de grands rassemblements, un avis que n’a pas suivi le gouvernement.
Réduction du nombre de spectateurs, désinfection des micros et instruments entre chaque passage des groupes qui se succèdent sur scène: «On fait tout ce que l’on peut pour que le festival ne soit pas une raison d’attraper le Covid», assure Milena Sandler.
Enlèvements et crise politique
Mais pour le public de festivaliers haïtiens, plus que la crise sanitaire, c’est surtout l’insécurité ambiante qui occupe leur esprit.
«On est venus pour s’amuser car on avait besoin de ça, face à tous les problèmes qu’il y a, les kidnappings… Ça nous permet de nous défouler», confesse Jacob venu assister à l’ouverture du PapJazz en compagnie de son jeune fils endimanché.
Depuis l’automne, Haïti enregistre une recrudescence des enlèvements contre rançon perpétrés par les gangs armés. Par ailleurs, les tensions politiques s’amplifient et l’opposition exige le départ du président d’ici deux semaines.
«On met les bouchées doubles à tous les niveaux, on ne va faire courir de risque à personne», détaille Milena Sandler.
Sans occulter ce contexte difficile, les musiciens invités du PapJazz ne boudent pas leur plaisir d’échanger avec leurs pairs haïtiens.
«Je viens d’Afrique, la transmission orale c’est très important», expose Etienne Mbappé à la trentaine de jeunes musiciens participant à un atelier matinal.
«Ne vous découragez pas, le monde est dur. Aujourd’hui c’est une crise sanitaire, demain ça sera autre chose», devise le quinquagénaire.