L’écart de richesse entre propriétaires et locataires «se creuse», s’inquiète l’IRIS
L’écart de richesse entre propriétaires et locataires se creuse encore davantage, conclut une nouvelle étude de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) parue mardi, à la veille du 1er juillet. Dans les 15 dernières années, le taux de rendement pour un immeuble locatif a été de 24%, pendant que la part des ménages vulnérables consacrée au logement n’a cessé d’augmenter.
«C’est dû en grande partie à l’appréciation importante de la valeur des propriétés dans les dernières années, explique à Métro le professeur spécialisé en logement de l’UQAM, Louis Gaudreau. L’écart est aussi lié à certaines dynamiques spéculatives de surenchère. Les gens qui ont une propriété appréciée peuvent vendre cher, et donc acheter plus cher, ce qui nourrit la hausse des prix.»
En 2002, l’IRIS concluait que le taux de rentabilité pour un immeuble locatif oscillait entre 11% et 14,7% à Montréal. À l’époque, la firme comptable Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT) parlait plutôt d’une fourchette entre -5,6% et 7,3%. Aujourd’hui, un constat se dégage: «ces évaluations se sont avérées trop prudentes». «La valeur des immeubles a monté en flèche depuis le début des années 2000. Avec un rendement annuel moyen de 24 %, les propriétaires de logements locatifs ont pu empocher jusqu’à trois fois plus d’argent», illustre le coauteur de l’étude, Guillaume Hébert.
«On est devant une situation où on peut se poser la question: est-ce qu’on veut devenir comme Toronto ou Vancouver? On a la chance de faire autrement.» -Louis Gaudreau, de l’IRIS
Cette «flambée des prix» a eu beaucoup d’impacts sur le filet social, rajoute Louis Gaudreau. La preuve, selon lui: pendant que la valeur médiane des ménages propriétaires était de 551 000 $ en 2016 – une hausse de 81 % par rapport à 1999 – la valeur médiane pour les ménages locataires atteignait 22 400 $. «Même pour ceux qui ont les moyens, on parle de sacrifices souvent très importants», raisonne-t-il. Sur l’île de Montréal, les ventes résidentielles surpassant les 500 000$ ont bondi de 67% entre 2014 et 2019. Ce chiffre atteint 321% dans Hochelaga, et 312% dans Lachine-LaSalle.
Pas de logique, disent les propriétaires
À la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), on n’accorde «aucune crédibilité» à ce rapport. «L’IRIS a une philosophie allant à l’encontre des principes capitalistes. Ses chercheurs et ceux qui les financent veulent en arriver à la conclusion qu’il faut socialiser le logement et que le secteur privé n’a pas sa place», déplore le directeur aux affaires publiques, Hans Brouillette.
«Ils commettent une erreur méthodologique fondamentale en omettant de considérer que le gain en capital du vendeur est conséquent à l’endettement de l’acheteur. Les prix de vente montent en raison de la rareté. Si ensuite le revenu net des loyers n’augmente pas, l’investissement est voué à la faillite», renchérit-il.
La porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), Véronique Laflamme, rétorque pour sa part que le rapport confirme bel et bien l’immobilier est «une source de profit pour plusieurs, notamment à la revente, alors que c’est un besoin essentiel et un droit fondamental».
«Alors que des dizaines de ménages locataires vont se trouver sans logement le 1er juillet, cette étude confirme ce qu’on constate sur le terrain. Le marché privé répond à une logique de rentabilité et est complètement déconnecté de la réalité.» -Véronique Laflamme, du FRAPRU
En réalité, la financiarisation détériore l’accès au logement, soutient Mme Laflamme. «On voit de grosses compagnies et des sociétés d’investissement acheter des logements dans des secteurs où ils sont peu chers, et ensuite se débarrasser de locataires en faisant des évictions, tout simplement parce qu’ils savent qu’ils pourront louer les logements plus chers», s’indigne-t-elle.
Des solutions?
Si elles font beaucoup plus qu’ailleurs, les politiques de lutte à la spéculation sont insuffisantes actuellement, selon Louis Gaudreau. Il suggère de revoir le calcul de la taxe foncière pour rééquilibrer les choses.
«Il faut vraiment inclure l’actif total des propriétaires. Ça veut dire de prendre en compte l’ensemble de la richesse, et non pas seulement la valeur totale des immeubles. On pense que ça viendrait freiner la surenchère des prix, notamment», lâche-t-il. L’IRIS propose aussi d’abolir la déduction sur le gain en capital. Actuellement, si un propriétaire vend un immeuble qu’il n’occupe pas, son profit est imposable à 50%. «Il faut faire passer ce chiffre à 100%», dit l’expert.
Selon lui, cette simple modification fiscale aurait permis de réduire l’écart de richesse de manière significative dans les dernières années.