«The Office»: dans les coulisses de Dunder Mifflin
«Dunder Mifflin, ici Pam.» Quinze ans après sa première diffusion, la version américaine de la comédie The Office a atteint l’enviable statut de série culte. Comment expliquer un tel engouement pour les travailleurs d’une compagnie qui vend du papier à Scranton, en Pennsylvanie? Tout simplement parce qu’il s’agit de la «plus grande sitcom des années 2000», selon le journaliste du magazine Rolling Stone Andy Greene, qui vient de publier une brique de plus de 400 pages sur le sujet.
L’histoire ne dit pas si ce livre est imprimé sur du papier Dunder Mifflin, mais son titre (en anglais), The Office: The Untold Story of the Greatest Sitcom of the 2000s, ne laisse aucun doute sur l’admiration qu’éprouve son auteur pour la série.
L’affirmation peut sembler tendancieuse, mais Andy Greene l’assume. «Je le pense vraiment. En plus d’avoir transformé le paysage télévisuel, The Office est supérieur à tout ce qui a été fait pendant cette période.»
Les inconditionnels de la série sont nombreux à avoir visionné tous ses épisodes des dizaines de fois. Même les adolescents, trop jeunes pour regarder la télé à 21h un soir de semaine lors de sa diffusion originale, les enchaînent désormais en rafale sur Netflix, où les neuf saisons connaissent un grand succès.
Sur les nombreuses plateformes en ligne dédiées à la série, les adeptes citent leurs répliques préférées et partagent quantité de mèmes et de GIFs du patron Michael Scott et de ses employés.
Tout récemment, un mème à propos de la pandémie de coronavirus s’est propagé sur le web. Il montre comment les différents personnages nommeraient cette maladie. Alors que Todd Packer la qualifie de «virus chinois», Andy la surnomme «Big’ Rona». Fidèle à lui-même, Oscar y réfère par son terme scientifique, Sars-CoV-2.
Andy Greene estime que le confinement est l’occasion tout indiquée pour replonger dans cette série aussi hilarante qu’attendrissante. «Plus que jamais, on a besoin d’être diverti, de rire et de s’évader de l’affreuse réalité qu’est devenu notre quotidien.» C’est d’ailleurs ce que permet la lecture de son ouvrage.
Tout a débuté par son amitié improbable avec Creed Bratton, interprète du personnage excentrique et un peu louche du même nom, et ex-rock star des années 1960 au sein du groupe The Grassroots. Ils se sont rencontrés il y a une dizaine d’années pour un article paru dans Rolling Stone.
«Il est hyper sympathique, très chaleureux, passionné… J’adore ce gars. Par lui, j’en ai appris beaucoup sur la série et c’est ce qui m’a poussé à m’y intéresser davantage», relate le reporter spécialisé en musique.
«Les personnages sont si riches, si drôles et si nuancés. C’est un véritable plaisir de passer du temps avec eux.» Andy Greene, journaliste et auteur
Puis, pour déjouer l’ennui lors d’une visite dans sa famille à l’Action de grâce en 2018, Andy Greene a réécouté le légendaire Dinner Party, considéré comme un des meilleurs épisodes. Il met en scène Michael et sa conjointe Jan qui reçoivent des collègues à souper à la maison. Ces 22 minutes réglées au quart de tour contiennent à notre avis le plus grand concentré de malaises de toute la série. «Je riais tellement, je n’en revenais pas à quel point c’est brillant», se souvient l’auteur.
C’est alors qu’il a eu l’idée de raconter l’envers de cet épisode pour souligner le 10e anniversaire de sa diffusion. «Je me suis donné à fond et j’ai réalisé qu’il y avait une histoire formidable à raconter à propos de cette série. C’est devenu une évidence : il fallait que j’écrive sur la saga complète de The Office.»
Pour se faire, il a mené près d’une centaine d’entrevues avec presque tous les artisans qui ont été impliqués de près ou de loin dans ce bijou télévisuel, à commencer par les créateurs de la version originale britannique, Ricky Gervais et Steve Merchant.
À travers les souvenirs des auteurs, des acteurs, des techniciens, des coiffeuses et de tant d’autres, Andy Greene propose une fascinante incursion dans les coulisses de la série, qu’il explore sous toutes ses coutures, en plus d’exposer la logistique d’une série d’envergure comme celle-ci.
«C’était super intéressant de parler aux gens en coulisses et de comprendre comment ça se passait dans leur esprit. Personne n’avait vraiment pris la peine de leur parler avant. Pourtant, chaque personne qui a travaillé sur cette série a des histoires à raconter.»
Même le traiteur Sergio Giacoman, qui révèle des anecdotes – croustillantes, il va sans dire – sur les déjeuners préférés des acteurs sur le plateau.
Débats enflammés et émotions fortes
Il est particulièrement fascinant de découvrir les points de vue des auteurs sur des moments charnières de la série, comme l’évolution de la relation entre Jim et Pam. On y apprend notamment que le célèbre couple du petit écran a failli se séparer pour de bon avant la finale et que la scène de leur demande en mariage devant une station-service a été un véritable casse-tête à tourner.
Les mots «endless debates» reviennent à plusieurs reprises dans le livre pour évoquer les nombreux choix déchirants qu’ont dû faire les auteurs au fil des saisons. Un d’entre eux a été de trouver un remplaçant à Michael Scott après le départ de son interprète, Steve Carell.
Comment remplacer un personnage irremplaçable? Selon Andy Greene, la série aurait dû se terminer à ce moment plutôt que de poursuivre pour deux saisons supplémentaires.
«S’il n’y a pas de Michael Scott, il n’y a pas de The Office, soutient-il. C’est le meilleur personnage. Steve Carell l’a joué avec tellement de nuances, tellement de chaleur et tellement de vulnérabilité qu’on lui pardonne tout, même quand il tient des propos racistes, sexistes, haineux et ignorants. C’était du génie.»
Son bouquin apporte d’ailleurs un nouvel éclairage sur le départ de l’acteur vedette, bien que le principal intéressé n’y livre pas sa version des faits. L’ouvrage s’ouvre carrément sur sa fête de départ, qui a eu lieu dans l’entrepôt de Dunder Mifflin. Les confidences qu’a recueillies le journaliste de ce moment sont chargées d’émotions.
Au fil des pages, on comprend rapidement que Steve Carell est le type le plus chic de tout Hollywood. «Presque tout le monde m’a fait cette remarque. Même à micro fermé, on me le disait. Je peux donc affirmer avec certitude qu’il était adoré par l’ensemble de l’équipe», assure le reporter qui vit à Brooklyn.
Andy Greene s’est-il lassé de The Office lors de l’écriture de son livre? «J’ai trouvé un peu douloureux de réécouter les deux dernières saisons que je n’aime pas trop. Sinon, absolument pas! Je pourrais regarder l’épisode The Dundies 40 fois et m’amuser toujours autant!»
Son épisode préféré: «Je change souvent d’idée. Il y a des jours où je choisis Dinner Party, mais aujourd’hui je dirais Business School. Selon moi, toute l’essence de The Office s’y trouve, soit un parfait mélange entre comédie ridicule et drame déchirant. Le premier volet est illustré par Jim qui convainc Dwight qu’il se transforme en vampire et le deuxième par Pam qui est triste que personne ne se soit présenté à son exposition d’art. J’adore comment ces deux extrêmes se côtoient.»
Son personnage préféré: «J’en ai deux. Parmi les personnages secondaires, c’est Creed. Chez les principaux, Michael Scott est le meilleur, même si c’est le choix le plus évident.»
Son opinion sur un éventuel retour de la série: «Je crois que ce serait horrible! Les œuvres sont créées dans un contexte particulier. J’adore La cloche et l’idiot et j’avais trop hâte de voir la suite, mais après deux minutes de visionnement, je me suis dit : “Oh god, ils n’auraient jamais dû faire ça!”»
«The Office: The Untold Story of the Greatest Sitcom of the 2000’s», aux éditions Penguin Random House