Pétrole: effondrement historique de la demande mondiale face à la pandémie
Plombée par la paralysie économique due à la COVID-19, la demande mondiale de pétrole subira cette année un effondrement «historique» de 9,3 millions de barils par jour (mbj), et retombera en avril à son plus bas niveau depuis un quart de siècle, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
Mesures de confinement sur la quasi-totalité du globe, transports à l’arrêt, industries atones… de quoi précipiter la consommation mondiale de brut à 90,6 millions de barils par jour (mbj) en 2020, la ramenant au niveau de 2012, a avancé l’AIE mercredi.
Sur le seul mois d’avril, la demande devrait chuter de 29 mbj par rapport à 2019, à des niveaux plus vus depuis 1995, avant de reculer encore de 26 mbj sur un an en mai, poursuit l’organisation basée à Paris dans son rapport mensuel.
«Nous avons vu s’évanouir toute la croissance de la demande mondiale enregistrée sur la dernière décennie. C’est historique», a commenté Neil Atkinson, responsable des marchés pétroliers à l’AIE, lors d’une conférence téléphonique.
Certes, de nombreux États planifient leur «déconfinement» et adoptent de vigoureux plans de soutien à l’économie: «En juin, une reprise graduelle devrait s’amorcer, mais la demande restera en baisse de 15 mbj sur un an», tempère l’AIE.
Et d’anticiper au second semestre une remontée très «progressive»: la consommation s’affichera toujours en décembre en repli sur un an de 2,7 mbj par rapport à celle de décembre 2019.
«Éviter la saturation»
Face à la chute libre des cours du baril, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et ses principaux partenaires, réunis au sein de l’OPEP+, se sont accordés dimanche sur une baisse de 9,7 millions de barils par jour en mai et juin, tandis que les pays du G20 ont promis une coopération accrue.
Ces mesures «ne vont pas rééquilibrer le marché immédiatement», car «aucun accord possible ne pourrait réduire l’offre pétrolière suffisamment pour compenser de tels plongeons soudains de la demande», prévient l’AIE.
Mais elles constituent «une première étape solide», salue-t-elle: «En amoindrissant le pic de l’offre et en ralentissant les gonflements de stocks, cela aide le système à absorber le pire de la crise».
À la suite de l’accord de l’OPEP+, la production mondiale de brut pourrait être sabrée de 12 mbj en mai, une baisse record.
De quoi limiter la surabondance de l’offre. Par ailleurs, la Chine, l’Inde, la Corée du Sud ou encore les États-Unis profitent des cours très bas pour gonfler leurs réserves stratégiques, ce qui contribuera également à désengorger le marché.
«Cela offrira une marge de manoeuvre accrue […] L’objectif est d’éviter la saturation des capacités de stockage disponibles», a souligné Fatih Birol, directeur exécutif de l’AIE, lors d’une téléconférence mercredi.
Faute d’être consommé, le pétrole doit être mis de côté, au risque de «menacer toute la logistique de l’industrie pétrolière – navires, oléoducs et citernes – dans les prochaines semaines» et de «saturer les capacités de stockage au milieu de l’année», avertit l’AIE.
Défis pour l’industrie
L’embellie pourrait intervenir ensuite: entre les coupes de l’OPEP+, le gonflement des stocks stratégiques et la reprise économique, l’agence prévoit que la demande redevienne supérieure à l’offre de brut au courant du second semestre… à la condition «que les mesures de confinement s’assouplissent» de par le monde.
Autre facteur susceptible d’alléger la pression: face aux cours bas et à l’engorgement des infrastructures, les pays producteurs hors-OPEP pourraient réduire leur offre de plus de 2 mbj en 2020.
Pour les groupes pétroliers, les conséquences seront durables: les dépenses d’investissement du secteur devraient plonger d’un tiers cette année, à 335 milliards de dollars, au plus bas depuis 13 ans – et l’assèchement des ressources financières devrait compliquer leur transition énergétique, redoute l’AIE.
Du côté des raffineries, confrontées à des capacités excédentaires endémiques, le défi est de taille.
Par rapport au choc pétrolier des années 1980, qui avait entraîné la fermeture de capacités de raffinage de 12 mbj, «le choc 2020 est d’une nature différente et sa durée attendue relativement courte pose d’épineux problèmes», note l’agence.
«Des fermetures temporaires de raffineries sont nécessaires pour équilibrer le marché, mais la crise risque d’entraîner des fermetures permanentes. Un certain volume de capacités excédentaires n’attendait qu’une poussée supplémentaire pour être éliminé, et la COVID-19 pourrait bien leur délivrer le coup de grâce».