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Pascale Drevillon: démolir les extrêmes

Pascale Drevillon
La comédienne Pascale Drevillon, pour la pièce Genderf*cker Photo: Josie Desmarais/Métro

Dans son solo Genderf*cker, la comédienne Pascale Drevillon déconstruit les notions de genres en se métamorphosant d’un extrême à l’autre et en soulevant une «chorale de questions». Elle a répondu aux nôtres à l’approche de sa série de performances.

Comment a pris forme Genderf*cker
Avant de faire l’école de théâtre, un de mes moyens d’expression était de faire des séances photo avec des amis. Dans une de ces séances, j’ai recréé la page couverture d’un magazine italien montrant un gars en chest qui se rasait avec une cigarette au bec. C’était écrit Machismo, en grosses lettres. J’ai reproduit cette image et je suis devenue le gars de la couverture. Comme je suis très féminine, ç’a vraiment été un défi. Ç’a éveillé quelque chose en moi au point où j’ai senti le besoin que ça se transforme en show.

Est-ce que le titre de votre spectacle est une façon de dire «f*ck les étiquettes de genres»? 
C’est f*ucker dans le sens de player, de jeu entre deux extrêmes. Personne ne peut être juste un homme ou juste une femme. C’est donc tout remettre en question en regardant les archétypes qui guident nos choix, que ce soit l’homme d’affaires en costume ou la femme au foyer. Regarder ces extrêmes et les démolir. Montrer pourquoi ils ne sont pas vivables.

Au-delà de votre métamorphose sur scène, comment se déploie Genderf*cker?
Il y a très peu de texte. En fait, ce sont surtout les mots des autres. C’est beaucoup plus un acte de présence, car c’est du théâtre performatif. Parmi les mots que je dis, certains sont des paroles de chansons qui parlent de ce que je suis en train de faire. Il y a aussi des mots empruntés à des artistes, dont Kate Bornstein, une poète trans new-yorkaise. Beaucoup de voix s’élèvent. Ça laisse au spectateur le loisir de faire les liens entre ces différentes voix qui forment une chorale de questions.

On pourrait croire qu’il s’agit d’une œuvre autobiographique, mais il n’en est rien, car vous ne partagez pas votre expérience personnelle en tant que femme trans…
Je voulais rester le plus loin possible de la biographie. Dans la culture LGBTQ+, on est souvent en mode témoignage. Par exemple, dans les écoles, pour faire de la sensibilisation, des personnes se livrent sur leurs traumas, leur vécu. J’aime mieux laisser un espace au spectateur pour qu’il développe sa propre réflexion. Après, bien sûr, ça suit un certain chemin qui ressemble à ce que j’ai vécu. En partant du neutre, en allant vers la masculinité, vers l’androgynie, puis vers la féminité, ce parcours est similaire au mien.

Vous portez cette performance depuis 2018. Vous l’avez présentée dans les festivals Zone Homa, Phénomena et FTA. Comment a-t-elle évolué au fil du temps?
Avec cette diffusion à Espace Libre, j’en suis au quatrième cycle de création. Je pense que c’est de loin le meilleur. Chaque fois, on comprend de mieux en mieux ce qui marche, ce qui fait réagir le public et ce qui est agréable à jouer pour moi. Au début, c’était plus souffrant, plus exigeant. À force de traîner ce show, j’ai décidé d’en faire quelque chose d’agréable pour moi aussi. J’ai essayé de développer un rapport plus positif, pour avoir du fun quand je le fais, et ça change vraiment ce que le public reçoit.

En quoi était-ce exigeant au départ?
Ç’a été très, très souffrant à créer… C’est difficile à expliquer. Je suis très inspirée par des démarches comme celle de l’artiste Marina Abramović, qui est dans la performance de longue durée, qui crée des œuvres qui ne sont pas manufacturables, que tu ne peux pas faire quatre soirs par semaine pendant trois semaines. Ce sont des objets bizarroïdes qui s’étirent dans le temps. Mon metteur en scène, Geoffrey Gaquère, le directeur d’Espace Libre, au contraire, était plus dans l’idée de créer un bon show. Quand on a commencé, je voulais que ça dure six heures. La première fois qu’on l’a fait, ç’a duré quatre heures et demie. Au final, on a ramassé ça en un peu moins de deux heures. On revient au plaisir. Là, c’est vraiment punché.

On peut présentement vous voir sous les traits de Maria dans Fugueuse la suite, à TVA, un rare personnage trans joué par une actrice trans en télé québécoise. Sentez-vous qu’on progresse en matière de représentativité?
Au Québec, on est un petit milieu isolé sur lui-même. Avec la barrière de la langue, on a moins accès à toutes les œuvres queer qui ont été faites ailleurs, notamment aux États-Unis. Cela dit, socialement, on est vraiment avancé si on se compare avec d’autres peuples francophones comme la France, qui se déchire encore avec le mariage pour tous… Dans les deux dernières années, le mouvement #MeToo a eu une influence en montrant des féminismes positifs. Je pense qu’on est de plus en plus prêts à se regarder, à changer et à avoir de vraies rencontres. Le timing est idéal, donc je suis très enthousiaste pour la suite!

«On a tous des caractéristiques qui sont plus masculines ou féminines. Mais qu’est-ce que ça veut dire au final?» -Pascale Drevillon, comédienne

Il y a toujours le danger de présenter des personnages correspondant à des stéréotypes. Est-ce qu’on réussit à les éviter, selon vous?
La clé est très simple et sensée: il faut engager des personnes trans, queer et non binaires dans des postes-clés afin qu’elles participent activement à la production de ces projets culturels. Ça prend un vrai désir d’aborder la chose de front. Une série comme The Big Bang Theory, même si c’était une comédie, avait le mandat de parler de science en étant crédible. C’est pareil avec les sciences sociales. Si tu abordes la réalité trans, tu dois la comprendre.

En tant que comédienne trans, vous êtes souvent appelée à jouer des personnages trans. Est-ce que ça vous dérange?
Ultimement, rien ne me dérange. Ça me fait plaisir qu’on pense à moi et je suis toujours curieuse de découvrir une œuvre. Cela dit, je suis rendue à un point où il faut que je fasse des choix… Il faut que je commence à montrer que je suis capable de faire de tout en tant qu’actrice. Tellement de choses m’intéressent! J’adorerais jouer un personnage historique, ou encore, faire de la comédie. J’ai une grande fibre funny que personne n’a exploitée encore! Donc, j’ai le goût de faire autre chose, mais si je vois un rôle bien écrit, peu importe le sujet, je vais le prendre.

Comme c’est le cas avec d’autres représentants de «minorités», on vous demande souvent de raconter votre cheminement identitaire, comme si vous étiez la porte-parole d’une cause. Est-ce lourd à porter?
C’est lourd, absolument, mais j’ai une acceptation radicale de la réalité suivante: le fait d’être trans, ça reste encore une nouveauté. Je ne me considérerai jamais comme une martyre; c’est un grand privilège de faire ce travail. Ce qui rend la chose moins lourde à porter, c’est que je pense honnêtement qu’on peut changer les choses.

On rappelle souvent l’importance d’avoir des modèles…
Oui, et je ne me décris pas comme activiste juste parce que j’ai une grande gueule. Je travaille auprès d’organismes, je suis sur le conseil d’administration d’Enfants transgenres Canada, ce qui me tient à cœur. Je rencontre des familles avec des jeunes qui se posent des questions. Le simple fait d’être présente est un acte politique. Ça permet aux jeunes d’aller à la découverte de leur vérité.

De quelle manière le jeu vous a-t-il aidée dans votre cheminement?
Aristote parlait de la catharsis. Quand tu livres tes tripes sur scène, tu es libérée en retournant chez vous. Si j’ai passé l’après-midi à brailler dans mon personnage parce qu’il a vécu quelque chose de terrible, j’aurai bien moins le goût de brailler en rentrant chez nous! (Rires) Ça fait du bien, et c’est pour ça que je fais ce métier.


Genderf*cker

Du 26 au 29 février
au théâtre Espace Libre

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