Faut-il vraiment apprendre le mandarin?
Selon Marcel Bérubé, président de la firme de ressources humaines et de recrutement Groupe Perspective, le multilinguisme est non seulement une tendance lourde, mais il redessinera complètement le monde du travail dans les dix à quinze prochaines années. «Les professionnels qui maîtrisent des langues étrangères auront un net avantage. Ce sont eux qui auront les meilleurs postes et conditions salariales. Je ne parle pas ici du gars qui travaille à l’usine. Je parle plutôt des gestionnaires, des chargés de projet, de ceux qui s’occupent du développement corporatif, explique Marcel Bérubé. La connaissance d’une troisième langue, quelle qu’elle soit, permet de percer des marchés et a un impact direct sur le développement d’entreprise. Les candidats multilingues représentent la capacité d’expansion de l’entreprise. C’est pourquoi ils ont une si grande valeur.»
La thèse de M. Bérubé est confirmée par l’intérêt que manifestent les employeurs à l’égard des diplômés du baccalauréat trilingue de HEC, le seul établissement universitaire d’Amérique du Nord à offrir un tel type de programme. La première cohorte de finissants a gradué en 2008 et a été accueillie avec enthousiasme sur le marché du travail. «Des multinationales comme Bombardier, L’Oréal et de grandes banques ont embauché plusieurs de nos finissants», raconte Frédérico Pasin, directeur intérimaire du B.A.A à HEC.
Dès sa première année, le programme a connu un grand succès. «On avait prévu 30 à 40 étudiants pour la première année. Finalement, on en a eu le double. À l’évidence, on comblait un besoin autant du côté des étudiants que des employeurs.»
Certes, au Québec, les employeurs cherchent d’abord des travailleurs capables de communiquer parfaitement en anglais et en français. «Mais pour les multinationales ou les entreprises qui font affaires à l’étranger, les travailleurs trilingues sont très intéressants.
Premièrement parce qu’ils font preuve d’une grande mobilité, mais aussi parce qu’ils peuvent transiger avec les fournisseurs et servir la clientèle dans plusieurs langues», mentionne Frédérico Pasin.
Cependant, faute de candidats multilingues disponibles sur le marché du travail, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à donner des formations linguistiques à leurs employés en vertu de la Loi 90 du 1%, qui subventionne la formation continue des travailleurs. Cette pratique ne fait pas nécessairement le bonheur de ceux qui ont beaucoup misé sur l’apprentissage des langues. C’est le cas de Mathieu Vézina, qui maîtrise six langues, dont le mandarin.
«En sortant de l’université, je pensais qu’on se bousculerait pour obtenir mes services. Ça n’a pas été le cas», lance le traducteur et interprète, qui travaille maintenant à son compte. «J’ai rencontré beaucoup d’employeurs ces quinze dernières années. Les compétences qu’ils recherchent en premier lieu ne sont pas langagières, dit-il. Pour un projet en Chine, ils vont plutôt engager des ingénieurs et gestionnaires et leur donner des cours de base en mandarin. Pour des postes moins importants, ils préfèrent engager des Chinois qui connaissent toutes les subtilités de la langue, de la culture et qui coûtent moins cher.»
En acceptant de partir travailler à l’étranger, Mathieu Vézina croit que ses perspectives professionnelles seraient meilleures. «Au Québec, c’est en français et en anglais que ça se passe. C’est malheureux à dire, mais mes langues me servent davantage pour acheter des fruits au marché Jean-Talon que pour le travail.»
L’école au bureau
La demande des employeurs pour des cours de langue est en augmentation constante. À tel point que l’UQAM a lancé, il y a trois ans, un programme de formation linguistique en entreprise. «On se rend sur les lieux de travail et on répond aux demandes de formations pour toutes les langues. Présentement, la demande est de plus en plus élevée pour le mandarin.
Elle vient surtout d’employeurs qui veulent former des employés en vue de missions commerciales en Chine», explique Éric Buisson, coordonnateur des services linguistiques en entreprise à l’UQAM. Les cours sont adaptés aux besoins des employeurs et s’offrent en plusieurs formules (groupe, semi-privé, individuel, repas conversation, coaching linguistique).
À Montréal, l’Université McGill, HEC, l’ÉLAM, Berlizt et l’École Connexions Langue et Culture offrent aussi des formations linguistiques adaptées aux nouvelles réalités du monde du travail.